Le diabète de type II est apparu au début du XXe siècle lorsque le sucre a cessé d’être une denrée rare pour faire son apparition sur toutes les tables. Le Vieux monde n’a longtemps disposé pour édulcorer les mets que de miel ou de sucre de betterave et les desserts tels que nous les connaissons n’étaient pas vraiment entrés dans les mœurs. Les concoctions sucrées ne représentaient qu’une part infime dans les grands traités culinaires comme le Ménagier de Paris, ou le Viandier de Taillevent… tandis qu’aujourd’hui elles occupent un bon quart des pages des livres de cuisine lorsque des ouvrages entiers ne leur sont pas consacrés.

L’invasion sucrée

La colonisation et l’essor consécutif de la culture de la canne à sucre a changé la donne. Depuis, nous entretenons avec le sucre un rapport faustien : certes, le glucose issu des sucres est le carburant de l’organisme… mais pour cette même raison, notre métabolisme est conçu pour fabriquer aussi du glucose à partir des protéines et des graisses que nous absorbons. Pendant des millénaires, cette faculté n’a posé aucun problème puisque la population humaine était dans son immense majorité en sous-alimentation chronique. Seulement, depuis un peu plus d’un siècle, les besoins nutritionnels des Occidentaux sont pourvus et ce mécanisme n’a donc plus lieu d’être. Pourtant, notre organisme, qui n’a pas eu le temps de s’adapter à cette nouvelle donne, continue à « tout » transformer en glucose sans tenir compte du fait que le sucre que nous consommons en surabondance prend un raccourci métabolique, évitant le circuit normal qui passe par la transformation des protéines, des lipides et des sucres complexes en sucres simples utilisables par les cellules du corps. Ce qui explique les troubles de santé liés à notre appétit grandissant pour le sucre. Une sorte de « revanche des esclaves » des plantations de canne à sucre…

Excès de sucre et métabolisme

À force de nous gaver de sucreries et d’aliments riches en sucres cachés, nous déréglons notre métabolisme. Quand on aime trop les saveurs sucrées, le pain bien blanc, ou les nouilles fondant sous la langue, l’organisme est amené à déclencher beaucoup trop souvent les mécanismes qui lui permettent de métaboliser correctement le glucose. Or lorsque nous consommons un aliment à indice glycémique élevé, notre taux de glucose sanguin s’élève, ce qui entraîne la libération d’insuline (une hormone hypoglycémiante qui régule le métabolisme du glucose et fait pénétrer celui-ci dans les cellules) par le pancréas afin de ramener la glycémie (la concentration de glucose dans le sang) à la normale. Ces mécanismes de régulation trop sollicités s’émoussent peu à peu et une résistance du foie et des tissus soumis à l’action de l’insuline s’installe : c’est ce qu’on appelle l’intolérance au glucose. L’insuline agit de moins en moins efficacement sur le foie, les muscles, les récepteurs des adipocytes et toutes les cellules qui absorbent le glucose en circulation dans le flux sanguin. Les cellules utilisent moins bien le carburant glucose. Le foie, lui, régule moins vite et moins bien sa propre production de glucose (néoglucogenèse hépatique) en réponse à l’insuline. À ce stade d’évolution des troubles métaboliques, les chercheurs ont pu mesurer une diminution du transport du glucose à l’intérieur des cellules.

Par voie de conséquence, le foie, très occupé à gérer le sucre, n’est plus en mesure de transformer les graisses qui s’accumulent donc dans cet organe, favorisant ainsi la stéatose hépatique (foie gras) et musculaire (accumulation de dépôts graisseux dans les muscles), ce qui entretient la résistance à l’insuline, communément appelée par les médecins « insulino-résistance ».

L’insulino-résistance représente à ce jour le meilleur facteur prédictif du diabète de type II. La teneur de nos muscles en lipides est quant à elle l’indicateur le plus pertinent de l’insulino-résistance. Il semble que ces graisses mal transformées agissent sur les récepteurs Glut 4, qui commandent l’accès du glucose vers l’intérieur des cellules. Les essais conduits chez l’animal ont permis de déterminer que l’accroissement du taux de lipides dans un organe ou un tissu augmentait l’insulino-résistance de cet organe ou tissu.

À ce stade, il est licite de parler de « prédiabète », état intermédiaire entre une régulation normale du glucose et le diabète de type II avéré. Il se définit par :

– une hyperglycémie (augmentation du taux de sucre sanguin) à jeun modérée : c’est-à-dire, selon les critères de l’OMS supérieure à 1,10 g/l mais inférieure à 1,26 g/l. Rappelons pour mémoire que la glycémie à jeun normale se situe entre 0,7 et 1,05 g/l.
ou une intolérance au glucose (définie par une glycémie comprise entre 1,40 g/l et 2 g/l deux heures après la prise orale de 75 grammes de glucose).
ou encore, un taux d’hémoglobine glyquée compris entre 5,7 et 6,4 %. L’hémoglobine glyquée correspond à l’ensemble des molécules d’hémoglobine (les molécules qui transportent l’oxygène dans le sang) modifiées par la fixation de glucose. Normalement cette hémoglobine « modifiée » représente entre 4 et 5,6 % de l’hémoglobine en circulation.

Or si le risque de voir apparaître un diabète de type II chez un sujet normal est de 0,7 % par an, il grimpe à 5 à 10 % par an chez ceux qui présentent au moins l’une de ces anomalies métaboliques (et à une quasi-certitude s’ils ne changent rien à leurs habitudes…).

Du prédiabète au diabète de type II

Dans un premier temps, les cellules bêta situées dans les îlots de Langerhans du pancréas vont produire beaucoup plus d’insuline pour compenser cette insensibilité et maintenir la glycémie à jeun dans des valeurs normales. Seulement, à fonctionner ainsi en surrégime, le pancréas fatigue ce qui se traduit à terme par une diminution de la sécrétion d’insuline. On observe alors une dégénérescence puis une destruction (apoptose) des cellules bêta, accélérée par l’action toxique de l’excès de glucose en circulation dans les vaisseaux sanguins.

Lorsque le pancréas n’est plus capable de compenser la perte de sensibilité des cellules à l’insuline, le diabète de type II (glycémie à jeun supérieure à 1,27 g/l) s’installe. Une fois ce point de non-retour franchi, la situation est, en l’état actuel des connaissances médicales, irréversible. Tout au plus peut-on, par des mesures hygiéno-diététiques et/ou un traitement médicamenteux, prévenir la survenue de complications cardio-vasculaires et neurologiques.

La bonne nouvelle : il s’agit d’une maladie chronique à évolution relativement lente : on ne devient pas diabétique de type II du jour au lendemain, ni même en un an. Auparavant, on passe toujours par une phase de prédiabète qui peut durer de deux à vingt-cinq ans. C’est au cours de cette phase, qu’il est encore possible d’agir pour stopper l’évolution vers le diabète de type II.